Famille de Marie: le noviciat fermé, un nouveau témoignage parle d'abus de pouvoir, psychologiques et spirituels
ROME-ADISTA. La tentative de procéder à une profonde réforme de l'association de fidèles Famille de Marie - Pro Deo et Fratribus et de sa branche sacerdotale, l'Institut Œuvre de Jésus Souverain Prêtre (OJSS), une communauté à l'histoire compliquée et controversée, depuis presque deux ans sous tutelle par décret du Vatican et confiée au gouvernement de l'évêque auxiliaire de Rome Mgr. Daniele Libanori et, pour la partie féminine, à la religieuse Sœur Katarina Kristofova, pour des abus psychologiques et spirituels présumés de la part du cofondateur et ancien supérieur p. Gebhard “Paul Maria” Sigl, semble rencontrer des difficultés. Selon un communiqué du 17 février, publié sur le site de la Famille de Marie, la tentative lancée en septembre dernier pour "relancer" les "novices" (terme impropre, puisqu'il ne s'agit pas de religieuses, mais de laïques consacrées) avec une nouvelle formation spirituelle, près des Catacombes de Priscille à Rome, s'est mal terminée, probablement en raison d'un manque d'adhésion des candidates au nouveau projet de formation. Le "noviciat" sera donc fermé.
En mai de l'année dernière, un communiqué publié sur la même page du site avait expliqué le sens des réformes, qui visaient à "favoriser dans les Membres de l’Institut une mûre autonomie de jugement et le consolidement de la spiritualité, qui doit se fonder davantage sur la tradition et le magistère assuré de l’Église", ce qui motivait "un processus de révision des parcours de formation en garantissant en priorité la claire distinction entre la fonction de gouvernement et l’accompagnement spirituel". Mais manifestement, les choses ne se sont pas passées comme on l'espérait.
Le temps très long du procès Gebhard Sigl
Entre-temps, il convient de souligner que près de deux ans après son ouverture, on est sans nouvelles de l'enquête en cours au Dicastère du Clergé sur Gebhard Sigl, destitué de ses fonctions et interdit de contact avec ses membres, pour "présumés abus spirituels, de manipulations et du système de pouvoir mis en place par le fondateur", face auxquels on attend désormais un "chemin de purification", qui implique aussi "une confrontation sincère avec ceux qui, à l'intérieur et à l'extérieur des deux Instituts", en auraient été "victimes". Il s'agit de délais inexplicablement longs, qui laissent les membres de la communauté dans l'incertitude, dans l'ignorance de ce qui se passe et dans l'incapacité d'envisager un avenir.
De plusieurs anciens membres et témoins, nous relatons les expériences vécues dans le cadre d'une longue enquête (voir Adista Notizie n° 44/22 ; 3, 6, 19, 25/23 ; Adista online 7/2/23 ; 21/4/23 ; Adista Segni Nuovi 43/23), d'où émergent des dynamiques répétées et des expériences qui se recoupent.
L'histoire de Peter
Les histoires d'abus au sein des communautés religieuses sont toutes différentes, mais elles reprennent des phases et des éléments récurrents qui semblent imposer une sorte de "script" : un premier accueil chaleureux, une spiritualité et une vie communautaire engageantes, une confiance de plus en plus inconditionnelle dans le supérieur - unique voix de la volonté de Dieu - qui se transforme en obéissance aveugle, en docilité absolue et en engagement à repousser ses propres limites, en se soumettant à un jeu de bascule entre gratification et chantage affectif et psychologique visant à effacer l'individualité du sujet réduit à l’état de soumission, qui finit par tout oublier de lui-même, lentement, sans s'en rendre compte : aspirations, besoins, affects, liberté personnelle, jusqu'à l'écrasement ou la révolte du corps et du psychisme.
Mais il y a aussi ceux qui veulent garder une indépendance de jugement, un esprit critique, et ne veulent pas annuler toute distance avec ce qui apparaît comme un abus de pouvoir sur l'individualité de l'autre. Et dans ce cas, comme dans l'histoire que nous présentons aujourd'hui, c'est le supérieur qui n'accepte pas le manque de soumission du membre en question, qui est perçu comme un danger pour l'écosystème qu'il a créé. Il fait donc la terre brûlée, dans la communauté, autour de lui, en montant les frères et sœurs contre lui, en répandant des rumeurs, en le faisant se sentir isolé, contrôlé, espionné et en lui rendant la vie impossible. Jusqu'à ce que l'autre, épuisé, décide que c'en est assez et quitte la communauté.
Notre témoin s'appelle Peter Gehring, il vient d'Allemagne et était dans la communauté entre 1992 et 1997, donc dans les années qui ont vu la montée et la consolidation du pouvoir du père Gebhard Sigl, déterminant le cours et le style des perspectives de la communauté jusqu'à aujourd'hui. C'est l'époque où l'évêque slovaque Pavel Hnilica (qui avait fondé la Famille de Marie en 1968 pour aider les Eglises d'Europe de l'Est) reconstruit la communauté sur les cendres de l'Opus Sancti Spiriti (OSS) – une communauté autrichienne dirigée par le prêtre pédophile Joseph Seidnitzer, condamné à plusieurs reprises et décédé en 1993, dont Gebhard Sigl était le protégé – et la transfère d'Autriche en Italie. Pour Hnilica, il s'agissait de pouvoir compter sur l’enracinement d'une communauté en Italie, dont il pourrait être le mentor ; pour Sigl, il s'agissait d'avoir un lieu institutionnellement reconnu par l'Église dans lequel il pourrait accroître son pouvoir personnel, en "nettoyant" la nouvelle communauté de l'héritage inconfortable de Seidnitzer, et en lui donnant une identité basée sur les cultes mariaux et les apparitions privées. Mais de nombreux membres ne partagent pas le "nouveau" cap et abandonnent le projet, qui semble traversé par des dérives, dont l'actuel évêque auxiliaire émérite de Coire, Mgr Marian Eleganti, et les problèmes avec l'autorité ecclésiastique sont nombreux. Hnilica, en effet, tente d'obtenir la reconnaissance de la communauté auprès de la Curie, ce qui lui est refusé (Il obtient sa première reconnaissance diocésaine à l'été 1992 par l'évêque du diocèse slovaque de Roznava, Mgr Eduard Kojnok), et une série de conditions sont imposées aux candidats à la prêtrise de la communauté. À ce stade, Gebhard Sigl, le lien le plus important avec l'"ancienne" communauté de Seidnitzer, a été temporairement éloigné de la communauté, en Europe de l'Est, avec interdiction d'entrer en contact avec elle. Il y reviendra plus tard en tant que prêtre, reprenant son rôle.
C'est à ce moment-là que Gehring est entré dans la communauté. Il raconte ici son expérience, dans le premier de ses deux témoignages.
Comment et quand êtes-vous entré dans la Famille de Marie ?
Après le lycée, j'avais commencé à étudier l'ingénierie mécanique à l'université, lorsque j'ai ressenti l'appel de Dieu à la prêtrise. Je ne voulais pas devenir prêtre diocésain et parcourir ce chemin seul, mais avec d'autres, au sein d'une communauté. C'est pourquoi je cherchais une communauté où ma vocation au sacerdoce pourrait se réaliser. En 1991, j'avais rencontré quelques frères et sœurs de la Famille de Marie lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Czestochowa, et ils m'avaient fait bonne impression. Au cours de l'été 1992, j'ai donc visité la communauté en Italie et j'y ai vécu quelques semaines pour mieux les connaître. Je me suis senti très à l'aise et la spiritualité me convenait. Les frères et sœurs m'ont dit que je m'intégrerais bien et les responsables m'ont dit que je pouvais venir et commencer mes études avec l'année académique 1992/93. J'ai donc interrompu mes études et je suis parti en Italie. Après six mois, au printemps 1993, à la demande des responsables, je suis entré définitivement dans la communauté. J'ai confié ma vocation sacerdotale à l'évêque Hnilica, qui était responsable de la communauté. C'était la phase initiale de la communauté et Gebhard Sigl avait été isolé de la communauté et ne devait pas avoir de contact avec les frères et sœurs. Je ne le connaissais pas, je l'ai rencontré pour la première fois à l’été 1993 lors d'une retraite en Slovaquie, quelques mois seulement après mon entrée dans la communauté. A partir de là, l'évêque lui a donné de plus en plus de responsabilités dans la communauté, le plaçant devant moi en tant que supérieur. Le saint que Gebhard m'a donné comme modèle et dont je porterai le nom était saint Antoine Marie Claret. C'est pourquoi la communauté m'appelait "Frère Pierre Antoine".
Comment se passait la vie dans la communauté ?
Je vivais avec les autres étudiants à la Villa Adriana (Tivoli) et tous les matins nous nous rendions à Rome pour aller à l'université au Latran. L'après-midi, nous avions des cours à la maison. Nous partagions le travail à faire. Il y avait des temps de prière fixes, organisés alternativement par un frère ou une sœur, pendant lesquels nous priions le chapelet tous les jours. Plus tard, lorsqu'il y eut aussi des prêtres (après l'ordination clandestine à Fatima de cinq membres, dont Sigl lui-même, ndlr), la messe quotidienne fut ajoutée.
Gebhard prétendait être un grand prophète qui avait reçu une illumination spéciale de Dieu. Il se rendait régulièrement dans les maisons, donnait des conférences, animait des débats et influençait la vie de la communauté et la vie personnelle des individus. Il m'a demandé d'abandonner toute sécurité financière et de ne plus compter que sur Dieu. Je ne devais plus avoir d'épargne, selon le modèle de l'Église primitive. J'ai mis toutes mes compétences et tous mes biens au service de la communauté et j'ai fait ce qui m'était demandé 24 heures sur 24, sept jours sur sept. J'ai mis ma voiture à la disposition de la communauté et j'ai payé l'essence avec mon propre argent. J'avais apporté ma bicyclette coûteuse dans la communauté et l'avais mise à disposition, mais quelqu'un l'a volée à l'intérieur.
La vie dans la communauté était très pauvre et modeste. J'ai aidé jusqu'à ce que mes économies soient épuisées. Ma vie personnelle était extrêmement limitée : il n'y avait pas de véritable intimité et pendant longtemps, j'ai dû partager une chambre avec un autre frère. La vie privée n'était pas respectée. En mon absence, mes affaires personnelles étaient constamment saccagées et mises sens dessus dessous. Il fallait accepter toutes les situations difficiles comme s'il s'agissait d'un don de Dieu.
Gebhard avait un standard à part. Alors que les frères et sœurs devaient mener une vie simple et pauvre, il se prélassait dans le luxe. Il a imposé aux autres des fardeaux qu'il s'est bien gardé de porter. Il s'est laissé servir et courtiser. Il aimait être le centre d'attention, être adoré et admiré par tous. Après son ordination sacerdotale, il a pris de plus en plus de contrôle sur la vie de ses frères et sœurs. Il se comportait comme un chef. Par l'intermédiaire des supérieurs de la maison, il s'immisçait dans les domaines les plus intimes de la personne et déterminait complètement sa vie. Par exemple, j'avais une statuette de Marie Rose Mystique à laquelle j'étais très attachée. J'ai dû m'en séparer parce que Notre-Dame de Fatima y était préférée. Cette perte me chagrine encore aujourd'hui.
Gebhard est même allé jusqu'à s'immiscer dans ce qu'il était permis de faire pendant les vacances à la maison. Par exemple, j'avais déjà organisé et payé un pèlerinage à Fatima avec l'aide de quelqu'un : il a mis des bâtons dans les roues et m'a empêché de le faire.
Dans la communauté, vous étiez constamment surveillé par d'autres personnes qui vous réprimandaient ou rendaient compte à Gebhard si vous ne suiviez pas ses instructions à la lettre.
Tout tournait autour de lui. Sa parole était égale à la parole de Dieu. Il se vantait d'être éclairé par Dieu et justifiait toutes ses décisions par ses "inspirations divines", la "lumière de Dieu" qu'il avait reçue. Il aimait impressionner ses auditeurs et savait beaucoup de choses qui ne pouvaient pas être connues naturellement. Cette connaissance était en quelque sorte la "preuve" de son charisme particulier. Des caméras et des microphones étaient également installés secrètement pour surveiller et écouter chaque mot. En outre, il y avait des informateurs parmi les frères et les sœurs qui, en son nom, m'écoutaient et m'interrogeaient innocemment et lui rapportaient tout.
A Civitella del Tronto (autre lieu de la Famille de Marie en Italie, ndlr), la communauté reçut une maison dans laquelle des sœurs avaient vécu longtemps auparavant et qui avait besoin d'être rénovée. Gebhard a décidé que les candidats qui voulaient rejoindre la communauté devaient suivre une formation de deux ans et participer aux travaux de rénovation. Les étudiants devaient également interrompre leurs études et faire deux ans de service sur le chantier, puis poursuivre leurs études. À cette époque, j'avais déjà étudié trois ans (deux ans de philosophie et un an de théologie) et il me restait encore deux ans pour terminer le cours.
Rétrospectivement, je peux dire que l'objectif de Gebhard pendant cette période de formation était d'orienter chacun vers lui-même et ses objectifs. Il voulait apprendre à mieux connaître chaque individu et voir qui lui était dévoué. Ceux qui n'étaient pas assez dévoués étaient écartés.
Il a fait pression pour que nous le choisissions comme guide spirituel, affirmant qu'il n'y avait personne de plus approprié que lui, celui qui était "éclairé par la lumière divine". Il prétendait être un instrument choisi par Dieu, avec la tâche importante de jouer un rôle crucial ensemble avec la communauté pour cette époque. Par diverses formes de manipulation, y compris le ton de ses discours, il a tenté d'instiller une confiance aveugle en lui et en sa "lumière", exigeant une obéissance inconditionnelle.
Dans le même esprit, la voyante Theresa Lopez de Denver, Colorado, qui était une sœur de la communauté (invitée par Hnilica, ses visions ont été jugées non surnaturelles par l'évêque de Denver, Mgr Stafford, en 1994, ndlr), a transmis un message de Notre Dame aux frères et sœurs de la communauté, dans lequel Marie les invitait à accepter Gebhard comme son instrument choisi pour que son plan puisse se réaliser. Il s'agissait d'une manipulation raffinée, d'un lavage de cerveau de grande qualité.
Par la suite, Gebhard a exhorté tout le monde à lui accorder plus d'attention qu'à leur propre conscience. Il a même fait de cette obéissance à son égard un critère d'admission des candidats dans la communauté. Je n'ai pas suivi cette orientation car, intérieurement, je sentais que ce n'était pas juste. Je me suis souvenu des paroles de saint Augustin, qui considérait la conscience comme la plus haute autorité par laquelle s'exprime la voix de Dieu.
Il ne restait plus grand-chose du monde parfait qui m'avait été présenté au début. Une structure semblable à une secte a commencé à émerger, avec Gebhard au centre en tant que gourou et tout le monde l'acceptant comme seigneur et maître.
Y avait-il une hiérarchie dans la communauté ?
Il y avait une structure hiérarchique claire. Le supérieur de la maison était pour ainsi dire le prolongement de Gebhard ! Il était en contact étroit avec lui, lui rendait compte et recevait ses instructions. C'est par son intermédiaire que Gebhard dirigeait toute la maison.
Il en allait de même pour les femmes consacrées : il les dirigeait toutes par l'intermédiaire de la "supérieure" Agnès, qui lui était extrêmement soumise. Le choix de la "supérieure" par les sœurs était une farce. Gebhard ayant annoncé qu'elle était nommée par Dieu, l'élection n'a fait que confirmer la décision de Gebhard. Elle était la seule candidate et a été 'élue' année après année.
Quel a été l'impact de la communauté sur votre vie ? Comment avez-vous quitté la communauté ?
A la fin de ces deux années de formation, j'avais obtenu les meilleures notes. J'ai alors voulu poursuivre mes études de théologie à Rome, comme cela avait été prévu. Mais cela ne s'est pas passé ainsi parce que Gebhard m'a dit, vers la fin de la deuxième année de formation, que je devais quitter la communauté. Il ne m'a pas donné de raison précise, il m'a simplement dit que je pourrais faire mieux en dehors de la communauté ! Je ne savais pas où aller et je ne voulais pas quitter la communauté, mais je n'avais pas le choix : on m'a dit que je ne pouvais pas continuer mes études et que ma chambre n'était plus disponible !
Je me suis retrouvée sans rien. J'avais investi mes économies dans la communauté (aussi à la demande de Gebhard, qui m'avait demandé de me débarrasser de toute sécurité matérielle !), avec l'intention d'y rester pour le reste de ma vie. Pendant toutes ces années, j'ai fait ce qu'on m'ordonnait de faire et j'ai mis mes compétences et mon travail au service de la communauté. Tout cela n'avait plus aucune valeur ! Gebhard a utilisé toutes mes compétences pour son travail et ses projets, et maintenant il liquidait tout cela en disant que je l'avais fait pour Dieu. Il s’est débarrassé de moi et je n'ai reçu aucune aide pour prendre un nouveau départ.
Tout le soutien que mes parents avaient offert à la communauté à cause de moi a également disparu. Ils ont été trompés injustement. Gebhard s'est présenté à eux comme un prophète de Dieu, qui recevait des messages divins, affirmant que leur fils deviendrait un bon prêtre avec lui. En conséquence, ils ont soutenu la communauté par de généreux dons d'argent et de biens matériels.
Pendant toutes ces années, Gebhard m'a laissé croire que j'étais un membre à part entière de la communauté, destiné à y devenir prêtre et à y rester pour toujours. Et soudain, tout a changé. Pendant des années, il m'avait semblé que c'était la volonté de Dieu que je sois dans la communauté, et soudain Dieu avait changé d'avis ? J'étais complètement traumatisé, incapable de penser correctement, et j'ai sombré dans un abîme profond.
Sa tactique pour se débarrasser des frères et sœurs qui ne lui servaient plus, après les avoir exploités et lorsqu'il n'y avait plus rien à gagner, était la suivante : de manière désinvolte, à table, en petits groupes, il prétendait que le Seigneur lui avait montré que ce frère ou cette sœur quitterait la communauté. C'était une prophétie qui se réalisait d'elle-même, car cette information se répandait parmi les frères et sœurs et finissait par être connue de tous, à l'exception de la personne concernée. J'avais déjà été témoin de ce phénomène à plusieurs reprises avec d'autres personnes et, finalement, il l'a fait avec moi aussi. Voici comment cela se passait : vous entrez dans une pièce avec plusieurs frères et sœurs, les chuchotements s'arrêtent et il y a un silence embarrassé. Chacun part soudain de son côté et une atmosphère étrange se crée. Vous soupçonnez que vous êtes le sujet de conversation....
Dès lors, vous devenez un frère de deuxième classe. Vous êtes traité comme un traître, avec suspicion et méfiance. Certaines informations ne vous sont plus communiquées. L'atmosphère s'empoisonne au fur et à mesure que les frères et sœurs s'insurgent. Le compte à rebours commence, et ce n'est qu'une question de temps jusqu’à ce que vous décidiez combien de temps vous pouvez supporter cette situation pénible. Il ne sert à rien de lutter contre elle : cela ne ferait que prolonger le chemin de la souffrance. Par essence, dans cette communauté, on n'est frère que par la grâce de Gebhard. Si vous tombez en disgrâce, c'est fini.
Dans ce contexte, Gebhard a provoqué beaucoup de rotation, car au cours de ces cinq années, j'ai vu de nombreuses personnes aller et venir. C'est incroyable la douleur humaine que cet homme a causée !
Je ne savais pas comment passer à autre chose. Pour prendre un peu de distance et réfléchir, je suis allé en Russie pendant environ deux mois, sur un site de mission, au cours de l'été. Pour cette période, j'ai confié ma voiture à un confrère en lui interdisant expressément de l'utiliser. A mon retour, elle avait 5.000 km au compteur et les pneus étaient complètement usés. Le frère responsable m'a expliqué qu'il n'avait fait qu'obéir. Gebhard a tiré le maximum de moi et m'a exploité jusqu'au bout comme une oie de Noël.
À l'automne 1997, j'ai quitté la communauté et je suis retourné en Allemagne.
Je voulais terminer mes études, mais en Allemagne, je n'avais pratiquement aucune reconnaissance et je devais pratiquement recommencer mes études. Les cinq années passées dans la communauté avaient été vaines, car je me retrouvais à la case départ, mais dans une situation encore pire qu'auparavant. Je n'ai jamais reçu la lettre de recommandation promise, bien que je l'aie demandée à plusieurs reprises !
Sans le sou, j'ai essayé de financer mes études en faisant des petits boulots. À cette époque, je me sentais très mal. J'étais complètement brisé à l'intérieur. La communauté était devenue le centre de ma vie et j'y étais fermement enraciné. Maintenant, je me sentais comme un arbre que l'on a coupé.
Gebhard a interdit aux membres d'avoir des contacts avec ceux qui avaient été renvoyés. Pour moi, c'était un grand poids que des frères et des sœurs, avec beaucoup desquels je m'entendais bien, ne puissent plus avoir de contact avec moi.
En 2006, j'ai de nouveau demandé à la communauté la lettre de recommandation promise, car j'en avais grand besoin et j'espérais qu'elle m'aiderait. J'ai essuyé un nouveau refus, mais on m'a promis une aide financière, qui n'est jamais venue.
Avec le temps, j'ai pris de la distance et j'ai pu regarder les choses avec plus d’objectivité. J'ai découvert la vraie nature de ce faux jeu. Il m'a fallu des années pour le surmonter, au moins partiellement. Je n'ai jamais retrouvé la force que j'avais auparavant. La vie après l'abus n'est plus la même qu'avant. Cela m'a tellement affecté qu'après mes études, je n'ai pas choisi la voie de la prêtrise, mais j'ai décidé de rester théologien laïc. Cette expérience douloureuse m'a tellement marqué que je me suis rendu compte que je ne pouvais plus réaliser l'idéal que j'avais du prêtre ! Un berger doit être sain et fort pour pouvoir conduire d'autres brebis faibles ! Mais comment peut-il le faire s’il est lui-même malade et réduit à l'état d'épave ? La raison pour laquelle ma vocation de prêtre pour le royaume de Dieu n'est pas réalisée s'appelle Gebhard Sigl ! Je sais qu'il aime qu'on l'appelle "Père Paul". J'ai un blocage intérieur à l'appeler ainsi. Je le considère comme le tueur à gages de Satan pour ma vocation sacerdotale.
Comment parlait-on du fondateur pédophile, le père Joseph Seidnitzer, dans la communauté ?
Le nom du père Joseph était parfois mentionné. On parlait de lui avec l'aura d'un saint. Il avait fondé la communauté avec Gebhard et était donc considéré par les frères et sœurs comme étant au même niveau que lui. Je n'avais aucun lien avec lui, ne l'ayant jamais rencontré. Mais au début de la 'période de formation' de deux ans, les frères se voyaient confier le lectorat. À cette occasion, on nous a remis une photo encadrée du père Joseph. Cela prouve qu'il occupait secrètement une place très importante dans la communauté.
Il y a quelques années, je suis tombé sur l'article de Wikipedia consacré au père Joseph. J'ai été profondément choqué d'apprendre qu'il avait été condamné pour abus. À l'époque, on ne m'avait jamais rien dit de tout cela, cela avait été caché et étouffé. Je me suis senti trahi et j'étais tellement en colère que j'ai jeté tout ce qui me rappelait la communauté.
Quels étaient, selon vous, les objectifs de Gebhard Sigl ?
Il est incroyablement rusé et astucieux. Je pense qu'il voulait faire d'une pierre plusieurs coups. Il a eu l'occasion de prendre l'argent des gens, et il est très doué pour cela. Il les convainc de lui donner leur argent et certains le font même héritier de leur fortune.
De plus, il pouvait satisfaire son narcissisme. Avec la communauté, il a créé une cour qui lui rend un hommage constant et soumis. Il est le gourou, illuminé par Dieu, et tout le monde est suspendu à ses lèvres et lui est soumis. Je lui ai témoigné "seulement" le respect qui lui était dû : il voulait être mon seigneur et mon maître, occuper la place la plus élevée qui n'appartient qu'à Dieu, et cette place, il ne l'a pas obtenue de moi. Cet affront était si grave pour lui que mon renvoi n'a pas suffi, il a également entravé mon chemin vers la prêtrise. De plus, avec ma position "hérétique", tôt ou tard j’aurais ruiné son plan. Il a satisfait sa soif de notoriété (il aime être au centre de l'attention et avoir un large public), mais aussi sa soif d’exercer son pouvoir sur les autres de manière tyrannique.
Pourquoi Gebhard Sigl s'intéressait-il aux voyants et aux visions ?
À l'époque, le désir de l'évêque Hnilica était la mission en Russie et le message de Fatima, qui concerne la conversion de la Russie. Il était avide de sensationnel et s'il y avait des apparitions quelque part, il voulait parler aux voyants et les interroger. C'est ainsi qu'est né le contact avec Theresa Lopez.
C'est là que la cupidité de Gebhard est entrée en jeu, car il a compris le potentiel de cette activité pour gagner de l'argent. Theresa et Gebhard ont trouvé une symbiose. Elle a rejoint la communauté et l'a souvent accompagné dans ses tournées de conférences, qu'il donnait dans le monde entier. Elle était pour lui une sorte de vantardise, un appât avec lequel il pouvait inciter les gens à faire des dons.
Gebhard ne négligeait aucune occasion de la commercialiser. Il a même réussi à faire entrer dans la communauté l'une des deux voyantes (Iveta Korcáková, ndlr) de Litmanova (Slovaquie). Il pouvait alors se vanter que sa communauté avait même accueilli les voyants de deux apparitions différentes. Si la voyante de Lourdes, Sainte Bernadette, et la voyante de Fatima, Sœur Lucie, étaient entrées au couvent, ici il y avait une communauté qui comptait même deux voyantes. Cela stimulait la générosité de ses auditeurs. Il a fait de même avec Ida Peerdeman et les visions d'Amsterdam (non approuvées par le Vatican, ndlr) qu'il a exploitées et commercialisées pour ses propres intérêts.
Et quel usage a-t-il fait de l'argent ?
Il était avide d'argent et se consacrait à exploiter les autres, les trompant astucieusement pour les escroquer. Il en était ainsi avec les auditeurs et ainsi avec les vocations. Il maîtrisait très bien ce modèle d'affaires.
Quant aux finances de la communauté, je n'y ai pas eu accès. Je sais que Gebhard avait un train de vie élevé et qu'il faisait de nombreux voyages coûteux. J'ai l'impression qu'il nageait dans l'argent : une fois, alors que nous roulions vers l'Autriche depuis la Slovaquie, juste avant de passer la frontière, Gebhard s'est arrêté et a sorti plusieurs liasses de billets, les a mises dans une grande enveloppe et les a cachées dans la doublure de sa veste. Une autre fois, dans sa chambre, où je suis entré pour un entretien personnel, j'ai vu plusieurs enveloppes contenant des liasses de billets sur son bureau.
Vous étiez dans la communauté au moment de l'ordination clandestine, valide mais illicite, des cinq membres de la communauté, dont Sigl lui-même et Luciano Alimandi, secrétaire de Hnilica, aujourd'hui à la Secrétairerie d'État du Vatican. Comment cela s'est-il passé ?
Il y a eu beaucoup de secret. Le responsable de la Villa Adriana était August Stoop (le père Johannes, également parmi les cinq prêtres, ndlr). Il a dit qu'il devait s'absenter quelques jours et qu'il ne pouvait rien dire avant son retour. Puis il revint de son voyage et annonça qu'il avait été ordonné prêtre avec les autres à Fatima. Seul un cercle très restreint était au courant et on leur avait fait jurer de garder le secret. Même les frères et sœurs qui étaient là depuis longtemps n'ont pas été informés.
À partir de ce moment-là, nous avons célébré la messe tous les jours dans la maison.
Adista rende disponibile per tutti i suoi lettori l'articolo del sito che hai appena letto.
Adista è una piccola coop. di giornalisti che dal 1967 vive solo del sostegno di chi la legge e ne apprezza la libertà da ogni potere - ecclesiastico, politico o economico-finanziario - e l'autonomia informativa.
Un contributo, anche solo di un euro, può aiutare a mantenere viva questa originale e pressoché unica finestra di informazione, dialogo, democrazia, partecipazione.
Puoi pagare con paypal o carta di credito, in modo rapido e facilissimo. Basta cliccare qui!