Privation de liberté personnelle, chantage affectif, mystification spirituelle : témoignages de l'intérieur de la Famille de Marie
ROME-ADISTA. Nous allons voir dans ce qui suit comment de profondes déviances théologiques et spirituelles et un style de gouvernance subtilement tyrannique ont été imposés pendant 30 ans à plusieurs membres de la Famille de Marie. Cette dernière est une association de fidèles mise sous tutelle par le Vatican, cf. la première partie de notre enquête. Le cofondateur, président et directeur spirituel de la Famille de Marie, le Père Gebhard Paul Maria Sigl (aujourd'hui déchu de ses fonctions et écarté de la communauté) a profondément affecté et affecte encore l'expérience personnelle et communautaire de certains de ses membres. Ce sont les rescapés eux-mêmes que nous sommes parvenus à contacter qui le racontent, révélant des traumatismes psychologiques et spirituels qui continuent de conditionner leur vie.
« Les problèmes de la communauté sont liés à la figure du Père Paul Marie Sigl », commence à nous dire A., un témoin. Ce dernier poursuit : « Le père Paul est un homme doté d'une très grande force charismatique, d'une capacité de persuasion extraordinaire, grâce à laquelle il parvient à convaincre les individus de s’engager dans sa communauté, en particulier les jeunes femmes qui ont un fort désir de se consacrer à Dieu. Au lieu de leur proposer un parcours de discernement, le père Paul indique aux candidats potentiels, avec une certitude absolue, la nature de leur appel. Il leur impose notamment les mains avec des mitaines ayant prétendument appartenues au Padre Pio. Il se réfère à l'inspiration de l'Esprit Saint qui prétendument lui parvient directement. La liberté de l'homme n'est pas respectée : Dieu parle à travers lui. Ne pas obéir à la parole du père Paul, c'est ne pas obéir à Dieu Lui-même. Il y a par ailleurs très peu de formation théologique donnée aux femmes de la communauté ».
D’après notre témoin, une fois entrés dans la Famille de Marie, le Père Paul Maria Sigl soumet les nouveaux membres à de la prière intensive. Cette prière ne s’appuie pas sur la Liturgie des Heures comme c'est habituellement le cas dans les communautés religieuses. Les membres semblent être canalisés dans une spiritualité très liée aux messages de révélations privées. Ces dernières sont celles des prétendues apparitions d'Ida Peerdeman (dont le père Paul Maria Sigl était un ami proche) à Amsterdam et pourtant condamnées par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, mais également d'autres, attribuées à des mystiques rarement reconnus par l’Eglise.
A côté des dérives théologiques, d'autres problèmes, bien plus graves, sont à l'origine des abus spirituels et psychologiques qui d’après nos témoins sévissent au cœur de la Famille de Marie. « Il y a malgré les apparences un manque de liberté et beaucoup de pression » regrette l’un d’eux. « Lorsque le père Paul révèle sa vocation à la personne, il lui révèle aussi son « protecteur ». Il ne se contente pas de lui imposer de prendre comme nouveau nom celui de ce protecteur. Il demande également à ce qu'elle ou il le prenne pour modèle et marche dans ses pas, l'imite, s'efforce d'être à sa hauteur. Il en fait une question de volonté. Dans la façon de sublimer ce protecteur le membre peut se trouver écrasé par ce modèle qui correspond rarement à ce qu’il est. Des répercussions psychologiques sont constatées. Face aux malaises qui émergent, la réponse du père Paul est : « S'il s'était vraiment engagé, tout se serait arrangé ». La raison du malaise est systématiquement reportée sur le membre, son manque d’assiduité à la prière et d’obéissance à la volonté divine. Lorsque le Seigneur appelle, par l'intermédiaire du Père Paul, il faut répondre. Nous glissons rapidement dans une sorte de chantage psychologique qui ne dit pas son nom, ses paroles étant systématiquement attribuées à la volonté de Dieu. »
B., un ancien membre nous raconte : « Il nous a rendus dépendants de lui, de ses voix divines intérieures. Nous recherchions son sourire, un signe d'approbation. S’il était en colère, nous entrions dans l'angoisse. Suivant la stratégie de « diviser pour mieux régner », il avait aussi parfois tendance à dresser subtilement certains les uns contre les autres, en prenant soin de nous imposer de ne rien dire de ce qu’il nous confiait.
Tout cela a entraîné plusieurs cas de malaises profonds, de phobies et de dépression, parfois de projets suicidaires. Le malaise psychique n'est jamais reconnu pour ce qu'il est. Au contraire, ce qui touche aux sciences humaines est souvent considéré comme d'origine satanique : elles sont présentées comme pouvant faire perdre la foi. Les personnes en détresse ne reçoivent pas d’aide ou alors pas celle dont elles auraient besoin. Parce que ceux qui viennent dans la communauté ont un grand désir de consacrer leur vie à Dieu, le pire est considéré comme la perte de la foi. Nous nous accrochons par conséquent à ce que le père Paul nous dit de faire pour la garder. »
Une forme de pression semble être l'une des constantes de la vie de la communauté. Mère Agnès elle-même, née Franziska Kerschbaumer (elle aussi démise de ses fonctions par le Vatican), n'a pas fait de véritable noviciat ou formation. Elle a été investie, à un peu plus de vingt ans, du rôle de « Madre » de la communauté et de gardienne d'un rôle charismatique à vie. L'autre constante est la place centrale de la souffrance : « Il faut offrir à Dieu toutes les souffrances (physiques, spirituelles, psychologiques) pour la sanctification des prêtres », dit A. Les femmes consacrées ont souvent été obligées d'interrompre leurs études ou leur travail au moment de leur entrée dans la Famille de Marie. Sans être religieuses, contrairement aux apparences, elles n’ont pas de vraie sécurité sociale. Elles font vivre la communauté grâce à leur rôle dans le service de la maison et des prêtres. « Une fois que vous avez ouvert les yeux, vous vous rendez compte que vous n'avez pas d'échappatoire », explique encore B..
Dans un tel contexte où les membres ont été entraînés à douter d'eux-mêmes et de leurs propres pensées, le chemin vers la prise de conscience est très douloureux et lent. Le prix à payer en termes de désinvestissement d'un projet de vie concernant ce qui est vécu comme le cœur de son être, la foi, est immense. La prise de conscience arrive quand le bon sens commence à faire surface, quand un facteur extérieur survient et qu'une brèche s'ouvre en soi. Il faut avoir de la force et ne pas avoir peur de demander de l'aide à l'extérieur, également pour surmonter la peur de la pression psychologique. « Quand je lui ai dit que je partais - se souvient B. – le père Paul m'a dit que si je quittais la communauté, il dirait à tous les autres que chaque fois que je disais que je ne me sentais pas bien, je faisais semblant, que j'étais dans le mensonge. » Il est en tous cas fréquent que l’imposteur spirituel, pour maintenir son autorité comme venant de Dieu, accuse ses victimes de ses propres déviances.
Depuis la connaissance, mystérieusement très tardive, de la mise sous tutelle de la Famille de Marie et des mesures radicales prises sur sa gouvernance par le Vatican, quelques anciens membres osent témoigner. Nous devrions savoir prochainement si d’autres parviennent à se défaire du référentiel du père Paul Maria Sigl. Il en va de l’avenir ou de la dissolution de la Famille de Marie.
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