
Famille de Marie : tout est-il vraiment réglé ?
ROME-ADISTA. « Si nous voulons que tout reste tel quel, il faut que tout change ». La célèbre phrase de Tancredi dans Le Guépard de Giuseppe Tomasi di Lampedusa semble parfaite pour décrire ce qui se passe (ou ne se passe pas) au sein de l'association de fidèles Pro Deo et Fratribus-Famille de Marie, réalité à l'histoire complexe, minée depuis ses origines par des formes d'abus spirituels et psychologiques (voir notre longue enquête dans Adista Notizie à partir du n°44/22). Trois ans après le début du gouvernement intérimaire de Mgr Daniele Libanori, décrété par le Dicastère pour le clergé, et près d'un an après le verdict du procès canonique du cofondateur, ancien directeur spirituel et ancien supérieur, le père Gebhard Paul Maria Sigl, qui s'est conclu par une condamnation à 10 ans de restrictions et d'isolement par rapport à la communauté pour abus du ministère sacerdotal et/ou abus de fonction ainsi que pour manquements dans l'exercice de ses fonctions, les changements et ajustements apportés se sont avérés sans effet sur le mur impénétrable qui entoure la communauté, comme le montrent les informations ci-dessous.
Malgré cela, la communauté semble s'engager dans une phase de normalisation sans que la question de la manipulation psychologique et des abus spirituels collectifs exercés en son sein n'ait jamais été sérieusement abordée (et encore moins surmontée). La condamnation du Vatican n'a pas suffi à ébranler la fidélité de la grande majorité des membres à leur ancien supérieur, convaincus (comme c'est souvent le cas dans les dérives sectaires, où l'obéissance aveugle efface la capacité de jugement critique) que c'est l'institution Eglise qui ne comprend pas. Même le décret promulgué en 2024 par le Dicastère pour la doctrine de la foi concernant la non-surnaturalité des « visions d'Amsterdam », pilier de la spiritualité de la communauté avec d'autres révélations privées, n'a pas suffi à changer le cours des choses. Même le signal fort et significatif de la fermeture du noviciat en février 2024 en raison de la résistance au changement des candidates à la consécration semble avoir été inutile, puisque l’on continue à enregistrer la présence d’aspirantes novices, dans l'attente d'une prochaine réouverture. Et le lourd héritage d'une histoire jamais élaborée, qui a commencé à Innsbruck avec le prêtre Joseph Seidnitzer, condamné à plusieurs reprises pour abus sexuels sur mineurs, n'a pas suffi à Mgr Hermann Glettler, aujourd'hui évêque du diocèse où tout a commencé, de renoncer au projet d'approuver l'ouverture d'une nouvelle maison (avec deux prêtres et deux sœurs apostoliques) sous ses auspices bienveillants.
Il semble donc s'agir d'une évolution positive et apaisée, contrairement à ce qu'avait déclaré le responsable intérimaire, Mgr Libanori, lui-même en septembre 2022, lorsqu'il avait notamment affirmé que la communauté était « une secte, une véritable secte » qui aurait dû être fermée, comme on peut le lire dans une enquête publiée sur le site français Actu.fr (24/10/24), qui rappelle, entre autres, les négociations, finalement avortées, pour la cession d'une île en Bretagne à la communauté dirigée par le père Sigl par un entrepreneur français.
La « persécution » de l'Église
Mais la situation est-elle aussi rose qu'on la décrit ? En avril, Mgr Libanori a annoncé la décision de fermer certaines maisons de la communauté. Il n'en est fait aucune mention dans le rapport 2024, publié sur le site le 2 juin. Ce document public présente un compte rendu joyeux des activités pastorales et liturgiques de chacune des 25 maisons, sans la moindre référence à la mise sous tutelle de la communauté ni, surtout, à la condamnation du père Sigl, et encore moins à l'existence de problèmes ou de fermetures. De nombreuses images festives accompagnent ce document non daté et non signé, dont beaucoup représentent des enfants : une grande responsabilité, prise, espérons-le, en connaissance des réglementations en vigueur pour la protection de l'image des mineurs.
Trois ans exactement après le début de la mise sous tutelle du Vatican (et quatre ans après le début de la visite apostolique), malgré un manque de prise de conscience et de distanciation communautaire par rapport au passé, le gouvernement intérimaire, surtout au cours de la dernière année, semble avoir pris un virage décisif vers une normalisation, avec l'ouverture prochaine d'un « juniorat » (formation pour les jeunes consacrées) et surtout avec les prochaines élections de la nouvelle direction communautaire. Le choix du juniorat, qui représente normalement une étape de la formation des candidates à la vie religieuse après le noviciat, est assez singulier ; mais la Famille de Marie n'est ni un institut de vie consacrée ni une société de vie apostolique. Qui aura autorisé sa création dans une association privée de fidèles laïcs ? Quelque chose laisse à penser qu'à ce rythme, le noviciat pourrait également être rouvert, après avoir été fermé il y a un an en raison de l'inutilité des efforts visant à redonner un nouveau souffle et un nouveau contenu à la formation des candidates laïques à la consécration.
Et pourtant, rares sont les personnes qui ont ouvert les yeux : la plupart des membres semblent convaincus de ce qui a été « prophétisé » dans le passé par Sigl lui-même et par la « supérieure », Franziska Kerschbaumer – qui affirment être porteurs d'une « lumière spéciale » divine – concernant une éventuelle « persécution » de la part des hiérarchies. L'exigence d'une obéissance aveugle et la prétendue incompréhension de la part de l'institution sont d'ailleurs une caractéristique distinctive des communautés à dérive sectaire, comme l'ont souligné de nombreux chercheurs et experts : la conviction d'être le « petit reste » qui sera sauvé, d'être la seule réalité à détenir la vérité, le jugement négatif sur le reste de l'Église (Sigl avait qualifié le pape François de « loup déguisé en agneau », comme le rapporte Birgit Abele dans son livre sur la communauté Wieder ich selbst). Il est toutefois tout à fait compréhensible que la plupart des membres continuent à être solidaires de leur ancien supérieur, car à ce jour, ils n'ont pas été réellement informés des motifs pour lesquels Sigl a été condamné : le texte intégral du jugement n'a jamais été rendu accessible.
D'ailleurs, ce récit remonte déjà à l'époque du mentor du père Sigl, Joseph Seidnitzer, dont les entreprises ont rencontré (tardivement, il faut le dire) l'opposition des hiérarchies autrichiennes et du Vatican : son esprit n'était pas compris par l'institution. Comme l'a également souligné la visite apostolique, Sigl, qui a repris l'héritage « mystique » de Seidnitzer, l'a « transfiguré » en un saint persécuté, cachant au passage son passé criminel. Pourtant, l'approbation ecclésiastique – refusée dans les années 70 et 80, lorsque le « séminaire » fondé par Seidnitzer à Innsbruck était qualifié d'« institution non catholique » – a toujours été recherchée et poursuivie. Elle a finalement été obtenue, avec l'approbation pontificale de la Famille de Marie en 2004 et de la branche cléricale, l'Œuvre de Jésus Souverain Prêtre, en 2008.
Trop peu de choses ont changé
Si aujourd'hui le récit semble inchangé, ce qui rend encore plus difficile toute prise de conscience, c'est aussi le fait que, semble-t-il, les restrictions imposées au père Sigl par la condamnation du Vatican, notamment l'interdiction d'avoir des relations avec la communauté, ne sont pas respectées, ce qui facilite grandement la continuité de l'influence du cofondateur.
Il suffit d'ailleurs d'écouter sur YouTube certaines homélies prononcées par des prêtres de la communauté – comme celles du père Niall O'Riordan et du père Francesco Marc Depuydt (Oregon, États-Unis) ou du père slovaque Andrej Caja – pour comprendre qu'il n'y a eu aucun changement par rapport à l'empreinte laissée par le père Sigl, avec un accent particulier sur le rôle des femmes, instrumentalisées à la sanctification des prêtres (la soi-disant « maternité spirituelle »), pour laquelle il est souhaitable de consacrer sa vie jusqu'au sacrifice ultime. Il n'est pas surprenant que la vocation ainsi comprise, comme sacrifice de sa propre identité et renonciation à ses propres inclinations, vocation souvent sollicitée par le père Sigl lui-même en exerçant une pression au nom d'une prétendue « lumière » reçue de Dieu, ait provoqué de graves problèmes psychologiques, qui accompagnent souvent ceux qui en sont victimes pour le reste de leur vie ; dans la communauté, la souffrance est généralement cachée ou spiritualisée, en tout cas dissimulée derrière un sourire perpétuel. Mais on peut en dire autant de la partie masculine de la communauté. Les pressions exercées pour obtenir des vocations au ministère ordonné ont surtout touché des personnes qui se trouvaient dans un moment de vulnérabilité de leur vie ou qui, plus ou moins consciemment, cherchaient une figure paternelle de référence. Au moins sur cet aspect, la décision de faire étudier les séminaristes dans des institutions extérieures à la communauté porte ses fruits : plusieurs candidats à la prêtrise sont en train de revoir leur choix. Malheureusement, la partie féminine, plus contrainte dans le rôle secondaire imposé par le charisme de l'association, qui s'est traduit jusqu'à présent pour beaucoup par une vie de travail manuel, n'a pas la même possibilité de discernement, même si aujourd'hui l'éducation et quelques petites activités en dehors de la communauté sont plus accessibles qu'auparavant. De plus, la branche féminine est privée, depuis au moins un an, d'une personne féminine à qui s'adresser, sœur Katerina Kristofova, la co-commissaire, ayant été démise de ses fonctions. Son diagnostic sur la santé de la communauté ne correspondait probablement pas à celui du commissaire, comme l'a affirmé un groupe de victimes dans une lettre ouverte aux ministères compétents, publiée en novembre dernier.
Il va sans dire que retrouver une liberté de pensée et une capacité critique implique nécessairement de quitter la communauté. Une sortie rendue complexe par les conditions économiques et contributives critiques. Souvent - comme le raconte Birgit Abele dans son livre - quand on prend conscience des choses, un vide s'ouvre en dessous de soi. C'est précisément là, au croisement de la liberté et de la conscience recouvrée, que l'institution de l'Église est appelée à s'occuper des victimes. Mais elle doit aussi le faire pour celles qui sont encore à l'intérieur et qui sont encore incapables de reconnaître les abus qu'elles ont subis. Rétablir la normalité sans avoir d'abord attaqué les anciennes fondations et demandé une prise de distance ne servira à rien. Entre-temps, le 28 juin, lors de la réunion de prière annuelle à Amsterdam, autour du culte de la Dame de tous les Peuples, c’est le père Andrej Caja, prêtre de la communauté, qui a prêché, tandis que le site web local de la Famille de Marie a tranquillement repris la vente des DVD avec des conférences de l'ancien supérieur condamné.
A l'automne prochain, les élections pour la nouvelle direction annoncée par Mgr Libanori mettront peut-être fin à la mise sous tutelle. Est-ce que tout va bien, pour les Dicastères concernés ?
Adista rende disponibile per tutti i suoi lettori l'articolo del sito che hai appena letto.
Adista è una piccola coop. di giornalisti che dal 1967 vive solo del sostegno di chi la legge e ne apprezza la libertà da ogni potere - ecclesiastico, politico o economico-finanziario - e l'autonomia informativa.
Un contributo, anche solo di un euro, può aiutare a mantenere viva questa originale e pressoché unica finestra di informazione, dialogo, democrazia, partecipazione.
Puoi pagare con paypal o carta di credito, in modo rapido e facilissimo. Basta cliccare qui!