Famille de Marie: déclaration officielle d'un diocèse sur les abus du père Gebhard Paul Maria Sigl
ROME-ADISTA. Il aura fallu presque un an pour obtenir une communication de l'institution ecclésiastique concernant la mise sous tutelle par le Vatican de la Famille de Marie, et la destitution de son cofondateur et ancien président, le Père Gebhard Paul Maria Sigl, « pour abus psychiques et spirituels ». Pendant des mois, les équipes d’Adista ont recueilli des témoignages étayant ces abus. A plusieurs reprises nous avons interpellé des évêques pour que la parole sur la réalité de cette communauté se libère. Parmi eux Mgr Bruno Feillet, évêque de Séez, en Normandie, diocèse sur lequel réside la communauté en France. Pour une mystérieuse raison la page présentant la communauté sur le site du diocèse n’a pendant 11 mois donné aucune indication sur la visite apostolique dont a été l’objet la Famille de Marie depuis 2021, pas plus que sur ses abus, sa mise sous tutelle et la destitution de leur maître à penser et cofondateur, le Père Gebhard Paul Maria Sigl, survenus le 1er juin 2022.
Sur le site du diocèse nous trouvons depuis quelques jours un communiqué de l'évêque, qui admet que « la communauté rencontre aujourd’hui des difficultés ».
Retraçant brièvement l'histoire de la Famille de Marie, Mgr Bruno Feillet situe sa naissance en 1992, omettant de préciser que cette « communauté missionnaire internationale » reconnue pour la première fois en 1992 dans le diocèse de Rožnava (Slovaquie), est née d'une improbable rencontre. D’une part celles des cendres d’une communauté dissoute par le Vatican, dirigée par le Père Paul Maria Sigl lui-même et par le Père Joseph Seidnitzer (un prêtre aux multiples condamnations pour pédocriminalité). Et d’autre part de « Pro Deo et Fratribus » de l'évêque slovaque controversé Mgr Pavel Hnilica, une structure fondée en 1968 qui, dans les années 1980, fonctionnait comme une « caisse » noire organisant d’importants flux financiers entre le Vatican et les pays de l'Europe de l'Est. Aujourd'hui, la Famille de Marie est présente en Europe, en Amérique latine, aux États-Unis et en Asie et compte plus de 60 prêtres, 30 séminaristes et 200 femmes laïques appelées « sœurs ». En 2008 a été fondée l'Œuvre de Jésus Souverain Prêtre (Opus JSS) rattachée à la Famille de Marie. En 1992, les cinq premiers prêtres de la communauté, dont Gebhard Paul Maria Sigl lui-même et Luciano Alimandi, aujourd'hui bras droit du Secrétaire d'Etat Card. Pietro Parolin, ont été ordonnés par Hnilica en secret et sans être passés par le séminaire.
Revenons au communiqué de Mgr Bruno Feillet. Il écrit que « depuis plusieurs mois la communauté de la Famille de Marie a été mise sous tutelle par le Saint-Siège suite à la destitution de son supérieur, le père Gebhard Paul Maria Sigl, pour abus psychiques et spirituels ». A vrai dire, le nombre de mois pendant lesquels un silence assourdissant entretenant la confusion des fidèles a été conservé s'élève à près de 12. Il mentionne explicitement les « abus psychiques et spirituels » dont ont été l’objet les membres de la Famille de Marie et notamment ceux qui ont accepté de témoigner dans notre enquête. Ils soulignent les profondes déviances théologiques et spirituelles de la communauté, et un style de gouvernement - celui du Père Gebhard Paul Maria Sigl - subtilement tyrannique imposé pendant trente ans à ses membres. Les rescapés de ces abus et les témoins que nous avons contactés révèlent des traumatismes psychologiques et spirituels qui continuent de conditionner lourdement leur vie, même lorsqu'ils sont parvenus à se reconstruire. Dès 1995, une lettre d'un ancien membre au « mentor » et cofondateur de la communauté, l'évêque Pavel Hnilica, mettait en garde contre les dérives théologiques, spirituelles et autres abus. Le temps a passé. Les dérives, à l'origine des abus psychologiques et spirituels, elles sont restées les mêmes.
« Un commissaire extraordinaire a donc été nommé », informe laconiquement l'évêque, en charge à Séez depuis 2021, dans son communiqué. Le commissaire est l’évêque auxiliaire de Rome, Mgr Daniele Libanori, déjà en charge de la commission de la communauté slovène de Loyola dans le cas du mosaïste jésuite Marko Rupnik, accusé de nombreux abus sexuels. Pour la branche féminine, c'est la religieuse Sœur Katarina Kristofová qui a été désignée co-commissaire par le Saint Siège. On attend encore de savoir quel pourrait être l'avenir de la communauté et de ses membres dont la plupart semblent encore complètement sous l’emprise du Père Gebhard Paul Maria Sigl.
« Le diocèse de Séez, suivant les directives du Saint-Siège, accompagne personnellement et attentivement les membres de la communauté présents à La Brardière » poursuit Mgr Bruno Feillet. « C'est un temps d'épreuve pour tous les membres de la communauté et pour le diocèse de Séez ». Sans doute réagit l'un de nos témoins, ancien membre de la communauté. « Mais en réalité le temps de l'épreuve dure depuis que les abus ont commencé, c'est-à-dire depuis 30 ans (voire 50 ans) à cause de Mgr Hnilica et de l'aveuglement de certains évêques qui ont laissé faire ! Il serait plus juste de dire que c'est le temps de la purification, du chemin vers la libération, vers la guérison ». Avec ces communiqués, commente-t-il, « on a toujours l'impression que c'est la vérité qui est à l'origine de l’épreuve ».
Nous nous interrogeons aujourd’hui sur la capacité de l’institution à libérer les membres de la Famille de Marie, aussi généreux et dévouées qu’ils paraissent, de décennies de dévoiements qui ont imprégné leur esprit et leur personne en profondeur.
* Sur la photo, le père Gebhard Paul Maria Sigl (qui à l'époque concélébrait la messe sans être ordonné prêtre) avec le père Joseph Seidnitzer, condamné trois fois pour pedocriminalité à de la prison.
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